Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 4]

 

Konda alluma son ordinateur et regarda subrepticement par la fenêtre. Il n’avait que faire du magnifique panorama qui s’étendait devant lui. Le château d’Osaka se trouvait entouré d’un immense parc où de petites touches de couleur rose indiquaient que les cerisiers avaient commencé à fleurir. En temps normal, cette vue lui aurait mis du baume au cœur mais aujourd’hui, l’heure n’était pas à la réjouissance.

Le nouveau consul devait arriver d’un instant à l’autre et Konda était soucieux. Pourquoi envoient-ils à nouveau une personne du ministère de l’Économie ? Pourquoi n’envoient-ils pas un diplomate ? Cela les changerait de l’ancien qui n’avait de consul que le nom car, pour faire des économies, de brillants technocrates avaient eu l’idée d’adjoindre une mission économique(1) à la chancellerie diplomatique et celui qui chapeautait le tout, le consul général, portait aussi le titre de chef du « poste d’expansion économique ». Seulement, dans la réalité, si le consul était un diplomate, il s’occupait principalement du consulat ; s’il était nommé par Bercy, il ne s’intéressait qu’à la mission. Une logique imparable.

Le prédécesseur de Cusseaud n’avait quasiment jamais mis les pieds dans la partie consulaire. Il avait délégué toutes ses fonctions et ses signatures à la consule adjointe, Madame Tatin, qui, à son tour, refilait toutes ses compétences à ses subordonnés. Ces derniers, au bout de la chaîne, faisaient alors leur travail en plus de celui de leur chef. Heureusement, le consulat d’Osaka était un « petit » poste où il ne se passait pas grand-chose d’important.

Normalement, il y avait alternance : si le consul actuel faisait partie des Affaires étrangères, le suivant était issu des rangs du ministère de l’Economie et des Finances. Mais cette règle n’était pas immuable puisqu’il allait y avoir deux économistes de suite. Konda s’interrogeait : Le Quai d’Orsay avait-il oublié l’existence du poste consulaire d’Osaka ? Pourquoi diable n’envoyaient-ils pas un diplomate ? Pour faire de la diplomatie, c’est plus adapté, non ?

En même temps, ce n’était pas vraiment important de savoir de quelle administration dépendait le consul. Une fois sur place, ils se conduisaient presque tous de manière analogue. En joueur expert de go(2), Konda les laissait faire à leur guise avant de disposer judicieusement ses pions et de les encercler afin de réduire à néant toute initiative de leur part. Ils étaient libres de s’amuser, de décider de tout et de rien mais, dès que la récréation était sifflée et que les choses sérieuses commençaient, alors Konda et ses collègues reprenaient la main et la partie se déroulait uniquement en fonction de leur bon vouloir. La subtilité du jeu consistait à faire croire au consul que c’était lui qui menait alors que la moindre de ses tentatives était neutralisée. 

 

 


(1) Les Missions économiques étaient des organismes publics dépendant du ministère de l’Economie et des Finances et installés à l’étranger. Elles avaient une mission de veille économique et financière du pays dans lequel elles sont implantées, de soutien à l’exportation pour les entreprises françaises et de diffusion d’information sur l’économie française et/ou européenne. De nos jours, elles ont été fusionnées avec les agences d’Ubifrance.

(2) Le go est un jeu japonais d'origine chinoise dans lequel les joueurs disposent des pions (go-ishi, appelés aussi pierres) de couleur noire ou blanche sur un plateau quadrillé (goban) dans le but d’occuper le plus d’espace (de territoire) possible. Jeu très populaire au Japon, il était notamment joué par les samouraïs dans l’ancien temps afin de développer leur sens tactique.

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