Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 3]

 

Natsuo Konda (1) s’assit lourdement sur son siège. Il venait d’arriver dans son bureau adjacent à celui du consul général dont il était le secrétaire. La journée commençait à peine qu’il se sentait déjà las.

Il regarda par la baie vitrée, vit son reflet et réajusta légèrement ses cheveux coiffés en arrière et recouverts d’un gel épais, une habitude prise alors qu’il était étudiant, imitant les acteurs italiens dont la langue sonnait si joliment à ses oreilles et dont il dévorait les films. Son désir le plus cher avait été d’apprendre l’italien mais petit un, l’Italie était alors un pays communiste et petit deux, en allant à l’université, il s’était trompé de porte et s'était retrouvé par hasard dans la faculté de littérature française. La présence d’étudiantes en grand nombre le convainquit définitivement d’opter pour une langue qui n’était pas l’anglais car il détestait, comme une grande partie de ses compatriotes, ces Américains dont les bases militaires n’avaient rien à faire dans son pays.

L’apprentissage du français fut un parcours du combattant pour un paresseux comme lui mais il s’accrocha et, à sa grande surprise, parvint à maîtriser une langue qui faisait l’admiration de ses parents convaincus malgré tout de l’inutilité totale de ses études, tout comme sa femme.

La situation se compliqua lorsqu’il eut besoin de trouver un travail car, en dehors de parler une langue étrangère dont l’usage au Japon était proche du néant, il ne savait rien faire d’autre. C’est par hasard, en discutant avec l’ancienne secrétaire du consul français qui se trouvait alors à Kobé, qu’il apprit que non seulement elle quittait son poste car elle allait se marier et rejoindre son nouveau foyer mais aussi, et surtout, que son travail consistait à ne pas faire grand-chose et qu’il était bien payé. Konda réfléchit plusieurs nuits de suite : un emploi de secrétaire, c’était réducteur pour un homme mais il avait besoin d’argent car, pour l’instant, c’était sa femme qui travaillait et c’était très mal vu de se faire entretenir par son épouse.

Lorsqu’il revit l’ancienne secrétaire, il lui demanda s’ils avaient trouvé une remplaçante. Elle lui répondit que non parce que la plupart des postulantes n’avaient pas un niveau suffisant de français. Il lui soumit alors son intention de postuler.

Uso(2) ! Non, vraiment ! Mais… Mais… Tu es un homme. Tu ne peux pas être secrétaire, c’est un travail de femme !
— Tu te trompes : le travail de secrétaire était, jusqu’à il n’y a pas longtemps, tenu presque exclusivement par des hommes. Et j’ai un excellent niveau de français.
— Hum… Pourquoi pas ? C’est une idée intéressante. Je vais en parler au consul et je te tiens au courant. Bien entendu, je ne te garantis pas du résultat.

Il se trouvait que l’ancien consul était ravi d’avoir un homme comme secrétaire. Konda fut embauché presque immédiatement. Sa femme fut déçue qu’il accepte un poste de simple secrétaire mais il réussit à la convaincre facilement :

— Oui, je ne suis pas que hishō, que secrétaire, mais aussi interprète : je suis la voix et les yeux du consul. Ce dernier ne parle pas un mot de japonais. Ma présence est requise lors de tous ses déplacements. Et il rencontre des personnalités importantes. Le poste peut sembler sans intérêt mais ce n’est pas vrai. Le mois prochain, je vais rencontrer le maire de Kobé et c’est à moi qu’il s’adressera.
— Oui, enfin… Cela reste un poste de secrétaire…
— Je serai son assistant et interprète. Et puis, c’est le consulat français. Je travaillerais désormais dans la diplomatie. Tu pourras quitter ce travail que tu n’aimes pas. C’est important, non ?
— Oui… Tu as sans doute raison, dit-elle en baissant la tête en signe de résignation.

En discutant avec ses voisines et connaissances, Madame Konda réalisa que travailler dans un consulat français faisait l’admiration de ces dames. Elle était satisfaite du nouveau prestige de son mari et mais ne se résout pas à utiliser le terme de secrétaire : lorsqu’elle parlait de lui, il devenait le « bras-droit » du consul, son « adjoint », des termes un petit peu plus masculins. 

 

 

 

(1) Contrairement à l’ordre japonais de présentation des noms de personnes, c’est l’ordre français qui est utilisé avec le prénom en premier et le nom en dernier. Dans le cadre du travail, les Japonais utilisent toujours le nom de famille pour s’adresser à leur collègue sauf si ce dernier est de nationalité étrangère. Dans ce cas, le prénom peut être utilisé.

(2) Toutes les expressions en japonais sont immédiatement suivies de leur traduction en français.

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