Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 8]

 

Le nouveau consul devait arriver à la chancellerie d’un instant à l’autre, Yamamoto, le chauffeur, venait d’appeler depuis le parking situé dans les sous-sols de l’immeuble pour prévenir ses collègues ainsi qu’il en avait pris l’habitude chaque fois qu’il ramenait le grand chef au bercail.

Chacun était impatient de voir à quoi il pouvait bien ressembler. Une réunion avait eu lieu la veille dans le but de déterminer de quelle manière il convenait de se comporter lors de son arrivée : fallait-il agir comme si de rien n’était et vaquer à ses occupations, le temps de le laisser prendre possession de son bureau ?

On se conduisait de la sorte quand le consul venait de Bercy puisqu’ils savaient qu’il n’avait aucun réel pouvoir sur le consulat. Ils ne faisaient alors pas le moindre effort pour l’accueillir.

S’il émanait du Quai d’Orsay, cela changeait la donne : il était de la « maison » et il fallait lui faire plaisir. Dans ce cas, ils se mettaient en rang à l’intérieur du hall afin de former une haie de manière à flatter son orgueil.

Cette attention s’avérait toujours payante car c’était souvent un fonctionnaire qui avait fait l’ensemble de sa carrière dans le consulaire et qui avait obtenu pour son dernier poste l’honneur de diriger une légation diplomatique. Il profitait de son séjour au pays du Soleil levant pour faire du tourisme tout en donnant l’illusion de contribuer au rayonnement de l’Hexagone dans le sud de l’archipel. Le consulat général de France à Osaka était un placard doré.

 

Lors de la discussion, il avait été décidé de faire selon l’usage mais Konda avait soulevé un point qui, bien que minime, n’en était pas moins important.

— Je suis d’accord avec Atsumi, avait-il dit. Seulement, je me demande pourquoi on nous envoie encore quelqu’un de Bercy ? La règle est pourtant simple : il devait y avoir alternance : un diplomate après un économiste. Pourquoi ont-ils dérogé à la règle ? Pour quelles raisons ont-ils fait cela ?

— Hum ! commença Atsumi. Konda a raison. Pourquoi n’ont-ils pas confié le consulat à un consul ?

— Je vais essayer de me renseigner de mon côté, continua Konda. Si vous avez la moindre info, la moindre rumeur, ce serait bien que l’on soit au courant.

— Au courant de quoi ? A quoi penses-tu ?

— J’ai juste un mauvais pressentiment mais je peux me tromper.

 

Ils étaient tous alignés dans le hall comme prévu lorsque Yamamoto entra le premier, rapidement suivi de Pierre-Victor Cusseaud qui sursauta légèrement en voyant tous ces yeux fixés sur lui. Que des Japonais, se dit-il. Il se demanda un instant s’il ne s’était pas trompé de porte mais la présence du chauffeur le rassura. Enfin, presque. Ce qu’il avait vu de l’immeuble lui faisait peur. Le bâtiment était si froid, si terne, si impersonnel. Et le hall de la chancellerie était au diapason. Il commençait vraiment à s’inquiéter : et si mon bureau était aussi minable ? Mais ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour cogiter. Le petit personnel l’attendait et il allait falloir les saluer.

Konda vint vers lui en premier.

— Je suis votre secrétaire particulier, côté consulat.

— Enchanté.

Un homme comme secrétaire, il en avait toujours rêvé. Cela le changera de ces pimbêches idiotes dont il avait dû supporter le caquetage toutes ces années. Il ne pouvait plus les voir même en peinture. Il avait exigé à de nombreuses reprises d’avoir un assistant dépourvu d’attributs mammaires mais on lui avait répondu qu’avec un personnel à 97,22 % féminin, sa requête avait peu de chance d’aboutir. Le problème ne se serait jamais posé s’il avait intégré le ministère des Armées comme il l’avait voulu

Atsumi se présenta à lui. Mon dieu ! Mais qu’elle est vieille ! pensa-t-il. Ensuite ce fut le tour de Murakami. Ma parole mais c’est un centre de gériatrie, ce consulat ! Aussi vieilles l’une que l’autre. Et la dernière, un peu plus jeune mais qu’elle est laide, la pauvre avec son visage tout allongé et ses grandes dents ! Fujisaki lui serra la main avant de laisser la place à l’employée locale française, Géraldine. Encore une bonne femme ! Mais quel gros tas ! Aussi charmante qu’un ours, en plus ! On dirait une ménagerie : la tortue, la guenon, la jument et le grizzli femelle. Le consul s’efforçait de sourire chaleureusement, faisant son possible pour cacher le dégoût suscité par la galerie d’horreur qui avait sous les yeux.

Il finit de saluer son équipe puis se tourna vers le chef adjoint de la Mission économique, à la recherche d’un réconfort, mais la vue de Chameau-taquin lui serra le cœur. Un zoo ! Je suis tombé sur un zoo ! Pauvre de moi !

— Je vais vous montrer votre bureau, Monsieur le Consul général. C’est par ici, lui dit son adjoint tout en montrant le chemin.

Konda les suivit légèrement en retrait, laissant en plan le personnel consulaire.

 

Arrivé dans le centre névralgique du consulat, Pierre-Victor fut soulagé de constater que son espace de travail, bien que petit, jouissait d’un superbe panorama sur le château d’Osaka et son parc arboré.

— Quel paysage magnifique ! s’exclama-t-il.

Turbot-Vaquin ne releva pas sa remarque. Il avait lui aussi vue sur le château mais l’idée d’admirer tous les jours un édifice soi-disant historique refait entièrement en béton ne l’attirait pas, les Japonais n’ayant que peu de respect à l’égard de leur patrimoine culturel. Il laissait ce plaisir à ses visiteurs, tournant le dos à cette horreur.

— Votre bureau est adjacent aux deux secrétariats : celui du consulat. Il montra mollement celui de Konda qui restait silencieux dans l’entrebâillement de la porte. À côté, il y a celui de Kuruma.

Il fit mine de partir sur la droite, invitant du regard Pierre-Victor à le suivre. Ils continuèrent la visite sans Konda, la Mission économique étant hors limite pour lui. Il soupira profondément.

 Ainsi qu’il pouvait s’y attendre, le consul allait être un économiste plus qu’un vrai diplomate. Son rôle risquait de rester secondaire par rapport à Kuruma que le nouveau consul semblait déjà bien connaître. C’était un mauvais signe pour lui comme pour ses collègues.

Il hésita à rejoindre le plateau consulaire. Il n’avait pas envie de les entendre se plaindre à nouveau. Il s’assit devant l’écran de son ordinateur et débuta une partie de réussite avant d’aller fureter sur Internet les dernières nouvelles.

 

La première journée passa très vite. Les effets du décalage horaire commençant à se faire sentir, Pierre-Victor décida qu’il était temps d’aller se reposer avant d’attaquer les choses sérieuses le lendemain.

Ce qu’il avait vu de la chancellerie le laissait songeur. C’était vraiment un petit consulat de province avec un personnel qui avait dû être choisi par des gens qui maniaient l’humour animalier sans parler du mobilier aussi gris, poussiéreux et sans âme que les murs et la moquette totalement défraichis. D’ailleurs à ce sujet, il faudra que je regarde le montant des crédits disponibles pour changer la décoration de mon bureau, pensa-t-il. Et la voiture, aussi. Ah, oui, la voiture ! Quel tacot minable ! Indigne d’un consul général !

Il nota dans son carnet « voiture » en majuscule et souligna rageusement le mot plusieurs fois en rouge.

Il prit une grande inspiration. Soit ! C’est un consulat poussiéreux, on va le nettoyer. Sur ce, il prit ses affaires et partit avec Kuruma rejoindre son hôtel.

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