Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 21]

 

— Monsieur le consul général ?

Konda s’était approché de l’encadrement de la porte sans oser s’aventurer plus loin.

— Quoi encore ? fit Pierre-Victor.

— Votre programme pour votre déplacement dans le sud du Japon, à Kyushu.

— Kyouchou ?

— C’est là que la frégate française va faire escale. À Sasebo, précisément. Plusieurs réceptions seront organisées avec les officiels de la région ainsi que les militaires français. Ce sera l’occasion pour vous de…

— Montrez-moi ça !

Pierre-Victor se saisit des papiers que tenait son assistant et les parcourut rapidement.

— Qu’est-ce que c’est que ce charabia ?

— La frégate fait escale à Sasebo vendredi en huit. Une réception sera organisée dans la soirée à bord puis vous avez différents rendez-vous organisés avec les personnes influentes de la région.

— Comme ?

— Tout d’abord, le maire de Fukuoka qui est un amoureux de la France. Vous êtes cordialement invité à assister à un tournoi de sumo.

— Du sumo ? Ah, ah, ah ! « Comment peut-on être fasciné par ces combats de… de… »

— « De types obèses aux chignons gominés ? », précisa Konda glacial.

— Notre ministre a beaucoup d’humour, vous ne trouvez pas ? s’amusa le consul.

Konda continua comme s’il n’avait rien entendu.

— Après le tournoi de sumo à Fukuoka, vous avez une visite avec les officiels de la ville de Nagasaki avant de poursuivre sur la ville de Shimabara aux pieds du volcan Unzen pour rendre hommage aux deux vulcanologues français décédés lors de la dernière nuée ardente.

— Mais vous comptez me faire visiter la totalité de l’île, ma parole !

— …

— Vous pensez que je n’ai rien d’autre à faire que d’aller me balader à l’autre bout du Japon pour faire du tourisme ?

— …

— Ce programme est beaucoup trop long, ça ne va pas du tout ? Enlevez-moi plusieurs dates !

— Fukuoka et Nagasaki sont les principales villes de la région. Si les officiels japonais apprennent que vous vous êtes rendus à Sasebo sans passer les voir, ils risquent d’en prendre ombrage et d’importantes opportunités de collaboration politique et économique pourraient échapper aux intérêts français.

— Hé bien, retirez-moi l’hommage aux vulcanologues français !

— Monsieur l’ambassadeur les connaissait personnellement…

— Bon ! Ça va, j’ai compris ! Mais… Mais, c’est quoi cette odeur de graillon ?

Pierre-Victor se leva, les narines relevées comme un chien après sa proie. Il sortit de son bureau et suivit les effluves nauséabonds à la trace.

Il se retrouva devant une porte dont il ignorait l’existence. Il posa la main sur la poignée et l’ouvrit d’un geste brusque.

Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver face à une multitude d’yeux étonnés, de bouches ouvertes et de baguettes en l’air comme figées par un soudain courant d’air glacé ! Il eut un mouvement de recul lorsqu’il comprit ce qu’il se passait : une demi-douzaine de personnes était en train de déjeuner assises autour d’une table qui mangeait le peu d’espace qu’il y avait. Il bredouilla un mot d’excuse et ferma violemment la porte.

Chacun se regarda sans dire un mot et les bruits de mastication reprirent de plus belle.

— Mais c’est inadmissible ! cria-t-il à l’encontre de Konda une fois de retour dans son bureau, seulement, ce dernier, pressentant la tempête, s’était discrètement éclipsé. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ! Où est cet abruti ?

Il rentra dans son bureau en claquant violemment la porte. La secousse fut ressentie jusqu’à la « cantine ».

— Ah ! Notre consul semble contrarié, ironisa Murakami.

— Ce ne sera ni le premier, ni le dernier, fit Atsumi. Attendons de voir comment il va réagir.

Pierre-Victor se laissa choir lourdement dans son fauteuil. Ce n’est possible, me faire ça à moi ! Obligé de subir des odeurs de nourriture dans mon propre bureau. Mais c’est impensable ! Je devrais faire fermer ce putain de consulat aujourd’hui. C’est une ignominie pour toute la diplomatie française. Une abjection ! S’ils pouvaient s’étouffer avec leur bouffe de m… Reprends-toi Pierrot. Reprends-toi. Réfléchis : comment mettre un terme à ces nuisances ? C’est moi leur chef, je vais leur montrer qui gouverne ici !

Sur ce, Sa Majesté se leva brusquement et partit déjeuner. 

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