Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 23]

 

C’était le petit matin et Konda venait d’arriver à son bureau.

Quelque chose clochait : tout était beaucoup trop calme comme avant que n’éclate un orage. Il comprit de suite lorsqu’il vit une ombre menaçante se détacher de l’embrasure de la porte.

C’était le consul qui était déjà là : il était rentré de Kyushu la veille au soir. Konda pensait qu’il serait venu au bureau plus tard histoire de se reposer de son vol de nuit mais il s’était trompé.

Ce n’était pas bon signe.

— Ah ! Konda, vous êtes là !

— Bonjour, Monsieur le consul général. Vous avez fait bon voyage ?

Sa Majesté avait son rictus des mauvais jours mais là, ses yeux étaient plus profondément enfoncés dans leurs orbites que d’habitude. Konda retint sa respiration. Cela ne présageait rien de bon. D’autant qu’il restait là à le regarder sans rien dire comme un animal prêt à fondre sur sa proie. Il n’eut pas le temps de réagir que le consul éructa :

— Les voyages à perpète, c’est fini ! C’est la dernière fois ! Non seulement, Kyouchou, c’est loin mais, en plus, c’est moche et sans intérêt ! Ces tournois de sumo, mais quelle horreur ! Sans parler de Nagasaki et de cette statue hideuse avec ce pauvre type qui ressemble à Arnold Schwarzenegger mais avec les bras en l’air et les yeux bridés. Quel ridicule !

Konda ne répondit pas. Assister à un tournoi de sumo était un honneur accordé aux visiteurs de marque. Quant à la statue de Nagasaki érigée dans le Parc de la paix en mémoire du bombardement atomique, c’était celle d’un sculpteur japonais très célèbre et particulièrement doué, Seibō Kitamura. Elle devait sa forme particulière au fait que les bras et les jambes représentaient un svastika bouddhique, symbole d’amour et de compassion.

Sa Majesté continuait de se plaindre de son séjour dans l’île de Kyushu. Konda était contrarié. Il y avait tant de choses à voir dans cette région magnifique qu’il avait prévu de l’y envoyer à nouveau. Vu son comportement, cela ne risquait pas d’arriver de sitôt.

— J’ai appris que vous aviez fait un discours émouvant lors du dépôt de fleurs sur la tombe des vulcanologues français, dit-il alors qu'il n'en savait rien. Un peu de flatterie ne peut pas faire de mal, pensa-t-il.

— Ah, bon ? Pourtant, j’avais repris le discours de mon prédécesseur…

— Ah…

Il n’y avait pas pire offense que de faire un copier-coller d’un précédent discours. Konda allait devoir colmater les brèches au plus tôt, si jamais il y arrivait. Mais pourquoi avait-il choisi d’être secrétaire pour des gaijin, des étrangers, des ignorants des bonnes manières qui n’avaient aucun respect pour leurs hôtes ? En même temps, il était l’arroseur arrosé : il avait voulu se débarrasser du consul et maintenant, il allait devoir s’excuser auprès de toutes ses relations dans la région… Quelle plaie !

— Ah, au fait, Konda ! J’ai du travail, donc ces déplacements à l’autre bout du Japon, il va falloir y mettre un terme, c’est compris ?

— Bien sûr, répondit Konda. Pour une fois, il était entièrement d’accord avec son roquet de chef : il était hors de question de s’aliéner tous ses précieux contacts pour un imbécile pareil. Il fallait circonscrire le désastre.

— Quant à mes déplacements, la région du Kansai suffit largement.

Tant mieux, se dit intérieurement Konda. Comme cela, je pourrais l’accompagner et étouffer tout début d’incendie. Il soupira et se laissa tomber lourdement sur son fauteuil. La partie était loin d’être gagnée d’autant que Sa Majesté avait un dîner après-demain soir à Kyoto.

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