Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 41]

 

— Comment ça ? Une reproduction ? Vous voulez dire que l’on nous a fait monter toutes ces marches pour nous montrer une reproduction ?

Le consul fulminait, les naseaux dilatés, prêt à charger le pauvre hère qui se trouvait devant lui.

Les regards convergèrent sur Konda qui faillit soupirer mais se retint.

— Il trouve que c’est une véritable splendeur et qu’il n’a jamais vu de documents aussi exceptionnels, traduisit-il au chef de la délégation japonaise chargé de faire découvrir la région de Kyoto au ministre.

Sō desu ne… C’est cela.

Konda se demanda si ses compatriotes faisaient exprès de ne pas interpréter correctement les émotions, certes intenses, des gaijin au point de confondre énervement et admiration ou s’ils étaient juste indifférents à leur attitude décidément indéchiffrable pour le Kyotoïte moyen. En même temps, cela lui évitait de perdre la face. C’était sans doute là l’unique raison de leur comportement : tout le monde faisait semblant de croire à son énorme mensonge afin de ne blesser personne. Le problème, c’est que, un jour, il sera trop fatigué et il en oubliera d’arranger la vérité. Il traduira alors fidèlement les paroles du consul général et il fera perdre la face à tout le monde, lui y compris. À cette idée, il soupira s’attirant le regard noir de son interlocuteur. Il avait le droit de mentir mais pas celui de se plaindre.

Pierre-Victor se tourna alors vers le ministre.

— Je suis confus, Monsieur le ministre. Je ne savais pas qu’il s’agissait d’une reproduction. Je viens d’apprendre que le vrai, euh… comment dire, le vrai dessin se trouve au musée national de Kyoto. Je pense que, compte tenu, de votre programme qui est déjà bien chargé, à moins que vous n’en décidiez le contraire bien entendu, je pense qu’il ne sera pas possible de dégager suffisamment de temps pour voir l’original. Voulez-vous que je me renseigne sur l’opportunité d’une visite, privée bien entendu, du musée national ?

— Mon cher ami, n’en faîtes rien. Cette reproduction est excellente. Je connais déjà l’original que j’ai eu la chance de contempler lors d’une exposition à Paris. Un véritable chef-d’œuvre. Saviez-vous que ce que vous voyez là est la plus ancienne bande dessinée du Japon ?

— Une bande dessinée ? répéta Pierre-Victor qui n’en croyait pas ses oreilles.

— C’est fabuleux, n’est-ce pas ?

— En effet, c’est fabuleux.

Pierre-Victor était en rage : il avait monté un nombre incalculable de marches pour atteindre ce foutu temple perdu dans les montagnes au nord de Kyoto pour voir un bout de papier qui n’était même pas authentique.

Tout ça pour admirer de stupides lapins s’amusant avec des grenouilles et des singes. Il se mit à douter que l’individu devant lui était réellement ministre. 

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