Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 49]

 

La visite du temple se fit au pas de charge. Pierre-Victor en profita pour poser quelques questions à son jeune acolyte. Ils ne quittèrent pas de toute la visite, les officiels nippons essayant tant bien que mal d’attirer l’attention du consul sur les paysages magnifiques qui l’entouraient. Seule l’évocation du symbole du temple Kumano, le corbeau à trois pattes, le dérida quelque peu.

— Moi qui croyais que seuls les canards avaient trois pattes ! s’exclama-t-il en ricanant.

Konda était affligé par l’attitude indélicate du consul et ne fit aucun effort pour la traduction.

— Le consul général pensait que seuls les canards ont trois pattes, dit-il de manière laconique.

Ah… Sō desu ne… C’est ainsi…

Le maire adjoint de Tanabe ne comprit rien aux propos de Konda mais s’abstint de faire le moindre commentaire.

Il était temps de rentrer à l’hôtel. Yamamoto déposa le consul avec Konda et le jeune Français à Kawayu, en face du fameux onsen à l’air libre, le sennin-buro, où selon la légende, mille personnes (sennin en japonais) pouvaient s’y baigner en même temps. Il avait été prévu de faire découvrir à Sa Majesté les plaisirs des sources chaudes japonaises, les fameux onsen.

Celles de Kawayu avaient la particularité d’être naturellement chauffées par des résurgences de la rivière Ōtōgawa, un affluent de la rivière Kumano et leur température avoisinait les soixante-dix degrés. Une piscine naturelle avait été aménagée pour permettre à chacun d’en profiter. Ce soir, elles allaient accueillir un hôte de marque dont la visite servait avant tout à faire de la publicité pour cette région désertée des touristes occidentaux.

Après un superbe repas offert par l’office du tourisme de la ville de Tanabe, tout le monde fut invité à rejoindre sa chambre pour se changer. À chacun fut offert un magnifique maillot de bain traditionnel japonais. Konda expliqua au consul comment procéder. Ce dernier était ravi de prendre un bain en aussi bonne compagnie. Il prit une douche dans sa chambre, revêtit son maillot et descendit en peignoir jusqu’au bord de la rivière. Là, l’attendaient Konda, Yamamoto, le directeur de l’office de tourisme et Romain qui s’étaient changés sur place dans les petits cabanons en paille qui se trouvaient au bord de la rivière.

Mais qu’ils sont mignons dans leur petit uniforme, pensa Pierre-Victor en les voyant. Ah ! Décidément, j’aurais tout fait pour la gloire de la France, même porter un kimono et un bermuda ridicules qui faisaient apparemment office de maillot de bain au Japon.

Puis chacun se mit dans l’eau chaude. C’était le crépuscule et une légère brume s’élevait depuis la surface de l’eau dans la fraîcheur du soir.

C’était une sensation formidable. Pierre-Victor aurait aimé en profiter mais il ne pouvait oublier ses obligations. Un échange d’amabilités sans importance se fit entre le directeur du tourisme et le consul général, le tout traduit par Konda.

Yamamoto essayait de ne pas trop s’écarter du groupe mais il avait trouvé un flux d’eau chaude près de la falaise et il en profitait pleinement pour soulager son dos meurtri par des heures de conduite.

Pierre-Victor savait qu’il avait été invité pour promouvoir la région auprès des Français. Et même si son attention était focalisée sur le jeune Romain qui s’ébrouait dans l’eau comme un gamin, il fit son possible pour écouter ce que disait son interlocuteur. Mais, franchement, qui payerait pour venir dans un trou perdu pour voir des temples alors qu’il y en avait des centaines rien qu’à Kyoto ? Il aurait pu lui expliquer les raisons pour lesquelles personne ne venait dans sa région : à savoir le manque de transports en commun et l’absence d’un personnel qualifié parlant au moins l’anglais mais Pierre-Victor n’en fit rien. C’est leur problème, pas le mien, pensa-t-il. À eux de se débrouiller !

Le directeur de l’office de tourisme était satisfait des réponses du consul général mais il se rendait bien compte que ce dernier lui disait ce qu’il voulait entendre. Déjà que personne dans la région ne voulait voir arriver des gaijin ne parlant pas la langue du pays et se comportant comme des sagouins, il avait encore fort à faire avant de voir débarquer chez lui des hordes de touristes étrangers et leur argent dont sa région avait tant besoin.

La conversation touchait à sa fin et Pierre-Victor en profita pour faire quelques brasses, juste le temps de rejoindre le jeune Romain.

— Alors, que pensez-vous de notre directeur du syndicat d’initiative local ? Il vous a bien vendu sa région ?

— Je ferais un rapport sur le potentiel touristique de la région mais, tant qu’ils ne feront aucun effort pour donner des informations en français, ou, du moins, en anglais, aucun étranger ne voudra venir ici, répondit Pierre-Victor.

— Vous avez tout à fait raison.

— Pourquoi faire autant de kilomètres pour juste voir des pavés dans un chemin de montagne ? C’est risible.

— En effet.

— Déjà qu’il a fallu un temps fou pour venir ici depuis Osaka, je n’ose imaginer le temps qu’il faut depuis Tokyo.

— En fait, ils espèrent que les touristes français qui sont nombreux à visiter Kyoto fassent un crochet par leur région. Je leur ai conseillé de se faire connaître auprès des Français qui vivent dans le Kansai. Pour la plupart, ils connaissent bien la région et recherchent des sorties week-ends qui les changeraient des grandes villes comme Osaka ou Kobé.

— C’est une bonne idée mais, vous savez, les Français, dans le Kansai, il y en aura de moins en moins, surtout après la fermeture du consulat.

À cette nouvelle, Romain ouvrit toutes grandes ses oreilles.

— Le consulat d’Osaka va fermer ?

— Tout à fait. C’est confidentiel mais je peux vous assurer que cela se fera sans l’ombre d’un doute. Mais, n’en parlez pas à nos interlocuteurs japonais, ils seraient déçus de l’apprendre. C’est entre nous, lui dit-il en lui faisant un clin d’œil complice.

— Oui, vous avez tout à fait raison, lui répondit Romain qui lui rendit son œillade.

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