Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 75]

 

Konda savait qu’il n’avait rien à attendre de Faverges. Il rappela la secrétaire de l’ambassadeur à nouveau :

— Bonjour Françoise, comment allez-vous ? J’aimerais savoir si Son Excellence est là ?

— Bonjour Konda, vous désirez parler avec l’ambassadeur en personne.

Onegai shimasu. S’il vous plait ?

Konda s’était mis à parler en japonais. Cela lui donnait un ascendant certain même si Françoise se débrouillait très bien mais elle n’était pas suffisamment à l’aise pour une joute verbale où la stratégie était primordiale.

— Un instant, répondit-elle en français.

Elle avait parfaitement compris que Konda essayait de prendre l’avantage en parlant japonais et elle n’allait pas lui faire ce cadeau.

— Je suis désolée, Konda. Monsieur de Bazancourt est en réunion et ne peut pas vous parler. Avez-vous un message à lui transmettre ?

— C’est toujours à propos de la fermeture du consulat.

— Mais Son Excellence vous a déjà répondu à ce sujet. Vous devez voir avec vos supérieurs hiérarchiques.

— C’est ce que nous avons fait mais nous n’obtenons aucune réponse. Et le supérieur hiérarchique du consul général, c’est Son Excellence.

— Non, c’est Paris.

A ces mots, Konda comprit qu’il ne lui restait plus qu’à appeler le ministère.

— Je vous remercie Françoise. Très bonne journée à vous.

— Très bonne journée, Konda.

 

Il se dirigea vers le plateau consulaire pour une énième réunion avec ses collègues. Lorsqu’il arriva, il fut surpris de voir que l’ambiance était excellente : Yamamoto faisait des blagues avec Atsumi (il avait le même âge que son plus jeune fils et elle l’adorait malgré la vulgarité de ses propos, fruits d’une éducation linguistique dans l’armée japonaise puis la Légion étrangère). Fujisaki regardait un site de recherche d’emploi pendant que Murakami rigolait avec une amie au téléphone. Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! Dansez maintenant. C’étaient les vers qui lui venaient en mémoire. Il se faisait l’effet d’être une fourmi face à des cigales. Il avait l’impression de jouer le mauvais rôle, celui du messager des mauvaises nouvelles, celui qui allait ramener tout son troupeau à la réalité avant qu’il ne se fasse dépecer par les bêtes ignobles qui les entouraient. Lui aussi, aurait aimé chanter et danser tout l’été mais c’était impossible.

— Bonjour Konda ! s’écria joyeusement Murakami tout en restant au téléphone.

— Bonjour ! J’ai du nouveau.

Le joyeux brouhaha s’éteignit de suite. Konda s’en voulait presque mais ils devaient se réunir pour décider de la suite à venir.

— Alors ? demanda Atsumi.

— Côté Tokyo, la secrétaire de l’ambassadeur fait barrage. Impossible d’obtenir la moindre information. D’après elle, le supérieur hiérarchique de Kuso, c’est Paris.

— On va les appeler ce soir, suggéra Murakami.

— Oui bien sûr… Sauf que Paris, ils vont non seulement faire traîner le plus longtemps possible. Avec le décalage horaire, cela va prendre un temps fou. Je sais d’avance qu’ils vont nous renvoyer vers le Kuso. Je pourrais appeler Paris mais ce serait une perte de temps. J’ai une idée.

Nani, nani ? Qu’est-ce que c’est ? demanda Murakami, les yeux brillants d’impatience.

— Hé, bien ! Puisque personne ne veut nous dire que le consulat va fermer, on va le faire nous-même !

— Comment ça ?

— Je parle de fermer le consulat.

— Mais comment ?

— On va faire grève ! Yokatta ! C’est super ! fit Murakami qui mimait une danse assise dans son fauteuil tout en frappant dans ses mains.

Sutoraiki(1) ! Grève ! crièrent-ils, le cœur joyeux.

Seule Atsumi ne partageait pas la joie ambiante. Elle s’interrogeait :

— Un instant ! Konda, comment fait-on grève ?

— Je me suis renseigné sur Internet : on prépare une lettre avec nos demandes : en l’occurrence, on demande à être informés de la fermeture proche ou future du consulat et, si c’est le cas, nous demandons quelles sont les modalités de fermeture.

— Et on l’envoie à qui, cette lettre ? demanda Atsumi.

— A l’ambassadeur avec copie à Kuso et la direction d’Asie et d’Océanie du ministère.

— On pourrait l’envoyer directement au ministre, non ?

— On doit conserver l’ambassadeur de notre côté. Si on écrit au ministre, on lui passe par-dessus et c’est pas bon. Il y a un circuit à respecter. On aurait dû l’adresser à Kuso mais ce dernier ne vaut plus rien. D’après les échos que j’ai eus, il s’est fait remonter les bretelles à Tokyo la dernière fois qu’il y est allé. L’ambassadeur ne veut plus en entendre parler. Le vrai consul, c’est Faverges.

— On ne demande pas à Faverges de faire un télégramme diplomatique ?

— Non, c’est Tokyo qui le fera une fois que le consulat sera en grève. Il faudra qu’ils s’expliquent sur les raisons de notre silence.

— Bon, on l’écrit cette lettre !

Murakami s’était installée derrière son ordinateur et avait déjà ouvert un fichier Word.

Une fois tapée, la lettre fut envoyée par fax directement au bureau de Françoise. Konda quitta le sien tout de suite après avoir reçu confirmation de la réception du précieux document. Il prit l’original qu’il mit dans une enveloppe. Il voulait la poster lui-même sur le chemin du retour. Il passa devant le plateau consulaire qui était désert. Tout le monde était déjà parti, tout le monde avait déjà quitté le navire en perdition. 

 

 

 

(1)Transcription phonétique du mot anglais « strike » qui signifie « grève ».

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