Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 86]

 

Le lendemain matin, Konda fut le premier à arriver à son bureau. Il regarda le paysage qui s’offrait à lui à travers l’immense baie vitrée.

Salut, Ô toi, château d’Osaka. Sais-tu que bientôt tu ne me verras plus. Ta compagnie me fut agréable. Tu me manqueras. J’espère que tu ne m’en voudras pas de te quitter dans un délai aussi court.

Il vit la porte du bureau du consul s’ouvrit.

— Ha ! Vous êtes là Konda ! La grève est finie ? demanda-t-il d’un ton sacarstique.

Konda le regarda avec compassion sans répondre à sa provocation.

— Vous voulez bien m’appeler le directeur de l’institut français de Nagoya.

— Non.

— Comment ça, non ?

— Non.

— Mais ça ne va pas se passer comme ça. Vous m’appelez le directeur de l’institut français de Nagoya de suite.

— Non. Faîtes-le vous-même. Et si vous n’êtes pas content, allez-vous plaindre à Tokyo.

— Je ne manquerai pas de le faire.

Cusseaud regarda Konda avec mépris puis il repartit dans son bureau en claquant la porte.

 

Yamamoto avait vu toute la scène. Il entra dans le bureau de Konda en sifflant d’admiration.

— Tu l’as bien niqué, le vieux, dit-il.

Konda n’avait jamais apprécié Yamamoto et son langage fleuri de bidasse mais il lui avait appris quantité de mots qu’il ne connaissait pas, mots qu’il n’eut jamais l’occasion d’utiliser mais qui lui étaient bien pratiques pour la compréhension de certains films français. La perspective de ne plus le voir le rendait presque nostalgique.

 

Fujisaki arriva toujours anxieuse. Sa nuit avait été courte et elle avait mille interrogations sur les indemnités. Konda lui dit d’attendre Atsumi et Murakami avant de poser ses questions.

 

Elles arrivèrent ensemble, tout sourire. Elles se remémoraient leur action de la veille et rigolaient aux éclats. Elles croisèrent Kuso qui sortait de son bureau pour aller à la mission économique. Elles lui dirent bonjour mais ce dernier ne les salua même pas. Surprises, elles perdirent un instant leur sourire avant de rire aux éclats, gênées par l’attitude de malotru du consul.

— Bonjour Mesdames. Il faut excuser notre kuso : il recherche désespérément une secrétaire pour passer un appel urgent.

— Tu n’as pas…

— Si, si ! Vous auriez vu comme il l’a envoyé chier ! C’était génial ! fit remarquer Yamamoto, provoquant un sourire crispé de Konda.

— Bon, commençons notre réunion, dit ce dernier.

Chacun s’installèrent dans les places vides de son bureau.

— Atsumi ? ajouta-t-il.

— Murakami et moi-même, nous avons décidé de partir en pré-retraite. On garde notre traitement mais nous perdons nos primes.

— Fujisaki ?

— Le choix entre un boulot mal payé à Tokyo et des indemnités substantielles est vite fait. Je ne serais pas étonnée qu’ils aient fait exprès.

— Tu as trouvé un autre travail ?

— J’ai plusieurs offres intéressantes mais pas sur Osaka.

— Tu partirais ? demanda Murakami.

— Ce serait l’occasion de me rapprocher de mes parents et de commencer une nouvelle vie.

— C’est une sage décision, fit Atsumi. Et toi, Yamamoto ?

— Le poste de chauffeur à Kyoto m’intéresse. Je suis emmerdé parce que je risque de perdre plusieurs mois de récupération.

— Et toi Konda ? demanda Atsumi.

— Comme Fujisaki : un poste de merde à Tokyo ou des indemnités importantes. Le choix est vite fait.

— Tu as trouvé du travail ?

— Le cousin de ma femme travaille dans un juku (1). Je pourrais facilement avoir un poste de professeur de français le temps de trouver un autre travail intéressant. Atsumi, sais-tu si tu peux cumuler un emploi avec ta pré-retraite ?

— Je n’en ai aucune idée, Murakami ?

— Je ne sais pas. Il faudra se renseigner.

— Donc, si je récapitule : Fujisaki, tu aurais besoin de six mois supplémentaires de traitement pour trouver du travail. Toi, Yamamoto, tu as besoin d’argent pour ton déménagement et ils devront te payer tes jours de récupération si tu ne peux pas les prendre. Atsumi et Murakami, toutes les deux, il faudrait que vous puissiez travailler en complément de votre pré-retraite. Ce sont des demandes réalistes qu’ils ne devraient pas nous refuser. Cela et une augmentation de nos indemnités. D’après ce que j’ai compris, dans les négociations avec les Français, il faut demander beaucoup plus que ce que l’on veut obtenir pour avoir ce que l’on veut. On va donc demander un montant plus élevé d’indemnités sachant qu’ils ne nous donneront pas plus mais c’est le jeu. Et puis, qui sait ? Peut-être qu’ils vont accéder à toutes nos demandes, autant en profiter pour en mettre la barre le plus haut possible.

— Cela me paraît raisonnable, fit Atsumi.

— Quelqu’un a faim, demanda Murakami. Il est presque midi. Tout le monde a apporté un bento comme prévu ?

— Pas moi mais je vais aller en acheter un au combini du coin, fit Yamamoto, prêt à partir.

— Je te suis, fit Fujisaki. 

 

 

 

(1) Un juku 塾 est un établissement scolaire privé qui donne des cours le soir après l’école pour aider les élèves japonais dans leur étude.

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