Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 90]

 

Henri-Aymard Gauldrée de Bazancourt était bien embêté. Comment allait-il résoudre un tel pataquès ?

— C’est toujours la même chose avec ces abrutis qui nous dirigent ! Ils prennent une décision puis, par on ne sait quel miracle, ils changent d’idée. Et après, il faut défaire ce que l’on a fait. Sauf que là, on doit refaire ce que l’on a défait. C’est pas possible de nous mettre dans de telles situations ! Ils ne peuvent pas prendre une décision et s’y tenir ? C’est si dur que cela ? Bon sang de bonsoir !

Son plus proche collaborateur, Edouard Gaillard de Hautemure, n’avait jamais vu l’ambassadeur dans un état pareil. Il était anxieux de son sort car si le bateau coulait, il serait lui aussi entraîné par le fond.

Ils avaient réuni tous les conseillers ainsi que les secrétaires d’ambassade pour trouver une idée afin de se sortir de cette impasse. Même l’attaché culturel était là. Chacun y allait de ses propositions, déclenchant soit l’hilarité de l’ambassadeur, soit une remarque sarcastique ou une réflexion cinglante.

 

Cela faisait trois heures qu’ils ressassaient la moindre des options dans le bureau trop petit de l’ambassadeur. C’est alors que Françoise, la secrétaire, frappa à la porte.

— Monsieur l’ambassadeur ?

— Quoi encore ?

— J’ai votre femme au téléphone.

— Oh, non ! Qu’est-ce qu’elle me veut encore celle-là ?

— Elle a insisté pour vous parler. Je vous la passe ?

— Au point où j’en suis. Vous m’excuserez, Messieurs.

 

Henri-Aymard se saisit du combiné.

— Mon amour ? Que me vaut cet honneur d’être dérangé dans mon travail ?

Simone Gauldrée de Bazancourt, née de la Tour Saint-André, ne releva pas la pique de son mari. Au bout de trente ans de vie commune, elle n’y faisait plus attention.

— Mon cher François, je suis avec Madame Poullain de Saint-Foix. Tiens-toi bien. Elle vient d’avoir une idée fantastique.

— Quelle heureuse nouvelle, ma chère !

— Oui, tu m’avais parlé de ce consulat qui allait fermer mais qui devait ouvrir à nouveau pour des raisons obscures. Eh bien, Madame Poullain de Saint-Foix, ici présente à mes côtés, a eu cette suggestion tout simplement divine.

— Je suis toute ouïe, mon trésor…

— Comme tu me l’as dit, le poste d’Osaka était accolé à une Mission économique. Le consul général était aussi chef de la Mission économique.

— Et alors ?

— Pourquoi ne pas l’adjoindre à l’Alliance française d’Osaka et faire du directeur de l’Alliance française, le consul général.

— Nommer le directeur de l’Alliance française, cet avorton, ce minable employé de l’Éducation nationale, consul général ?

Henri-Aymard leva les yeux pour scruter ses troupes. Tout le monde regardait ses chaussures en silence, gêné d’assister à une conversation privée dont ils ne perdaient pas une miette.

— Mais pourquoi pas ? C’est une brillante idée, mon poussin. Ah, j’ai du travail. Je dois te laisser. Je t’aime. Au revoir. Oui, d’accord… Mes amitiés à Madame Poullain de Saint-Foix. Au revoir… Oui, c’est cela, je raccroche. Oui, je t’aime, moi aussi. Au revoir !

 

L’ambassadeur raccrocha quelque peu énervé.

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Messieurs, ne vous mariez jamais, c’est un conseil d’ami.

— C’est que… avança l’attaché culturel.

— Oui, mon cher ?

— Le directeur de l’Institut français de Kyoto doit partir à la retraite avant la fin de l’année. On pourrait… On pourrait nommer le nouveau consul général, directeur de l’Institut et le tour est joué.

 

Un silence pesant suivit ses paroles. Puis un léger brouhaha se fit entendre.

— Ben oui, pourquoi pas ? osa un des secrétaires d’ambassade. On ferait d’une pierre deux coups : on déménage le consulat à Kyoto, là où la communauté française est la plus importante, et on n’a plus qu’à trouver un consul général qui fasse office de directeur de l’Institut. Mais c’est une excellente idée, Monsieur l’Ambassadeur !

— Oui, oui. Ne nous emballons pas. Edouard ?

— Oui ?

— Est-ce faisable ?

— L’idée semble excellente. Un seul bémol, toutefois. En dehors du chauffeur qui est déjà à Kyoto, tous les employés locaux sont partis en préretraite ou ont été mis à la porte.

— Leur présence n’est plus requise puisque ce ne sera qu’un consulat de façade. Les visas et l’État-civil ont été rapatriés à Tokyo. On ne change rien.

— Oui mais on a besoin de quelqu’un qui fasse le lien entre l’ancien et le nouveau consul et qui connaisse bien le Kansai.

— Tu veux dire que nous sommes obligés de faire appel à l’ancien secrétaire du consul général ?

— On n’a pas le choix.

— Il ne reste plus qu’à espérer que cet imbécile n’ait pas retrouvé de travail. Edouard, vous vous en chargez, vous le voulez bien ?

— Oui, Monsieur l’ambassadeur. 

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