Sa Majesté chez les Nippons [Épisode 62]

 

— Bonjour Françoise. Comment allez-vous ?

Le consul avait pris sa voix la plus aimable pour parler à la secrétaire de l’ambassadeur.

— Vous seriez un ange si vous pouviez me passer notre ministre plénipotent…

— Un instant.

Il attendit plusieurs minutes avant qu’elle ne reprenne la conversation.

— Je vous le passe.

— C’est bien aimable à v…

Il n’eut pas le temps de finir qu’elle avait déjà passé l’appel.

— Votre Excellence. Je ne vous dérange pas ?

— Bien sûr que non, fit l’ambassadeur d’un ton acerbe. Que lui voulait donc cet imbécile ?

— Nous venons d’avoir un décès.

Henri-Aymard ne réagit pas. Sa Majesté continua à parler.

— Oui, je suis au regret de vous informer que Mme Tatin, notre très estimée consule adjointe, est décédée hier soir.

— …

— Bien entendu, je ne vous aurais jamais dérangé s’il ne s’était pas agi de circonstances exceptionnelles. En effet, la situation est grave.

Pierre-Victor resta silencieux une seconde pour obtenir plus d’effet.

— J’ai été convoqué par la police d’Osaka, ajouta-t-il. Il est possible que ce soit un acte criminel.

— Comment ça ?

Il avait réussi, l’ambassadeur avait mordu à l’hameçon et l’écoutait finalement.

— Pour l’instant, nous attendons les résultats de l’enquête mais il est probable qu’elle ait été poussée sous un train.

— Quelle mort affreuse !

— Oui, elle ne le méritait pas. C’était une personne d’exception dont nous regrettons tous l’absence. Elle…

— Qu’en pense la police d’Osaka ?

— Pour l’instant, ils continuent leurs recherches. Je les ai personnellement assurés de mon entière coopération. Ils se sont rendus à son domicile et je pense qu’ils doivent être en train de visualiser les vidéos de la gare où l’incident, si on peut parler d’incident pour un événement aussi gravissime, s’est produit.

— J’espère qu’elle ne s’est pas bagarrée avec quelqu’un. Sinon, ce sera la honte sur toute la communauté consulaire française. Si c’est le cas, vous faites en sorte que cela ne s’ébruite pas sinon nous allons encore passer pour des minables.

— Oui, bien sûr, vous pouvez compter sur mon entière discrétion si tel était le cas, Monsieur l’ambassadeur.

— Bon, tenez-moi au courant. À bientôt.

— À bientôt, votre Excell…

Il avait déjà raccroché.

Pierre-Victor soupira d’aise. Il était content de lui : il avait réussi à transmettre l’information directement au grand chef sans se ridiculiser. Il était vraiment un maître en diplomatie. Ce métier était fait pour lui. Il était né pour être consul général.

 

Alors que les policiers continuaient leur travail d’investigation, toutes les formalités administratives consulaires furent promptement réalisées : l’annonce à Paris du décès afin qu’ils contactent la famille si elle en avait car elle était célibataire et sans enfant, les détails de son poste pour trouver un nouveau consul adjoint, l’appel à une société de déménagement pour rapatrier ses affaires en France, les papiers de douanes pour le transfert du corps. Le mois de janvier passa vite pour toute l’équipe du consulat.

L’absence de Madame Tatin ne se fit même pas remarquer tant elle avait l’habitude de s’enfermer dans son bureau pour ne plus en sortir. Seul le coffre contenant les sommes en liquide fut prestement déménagé dans la chambre forte où l’on préparait la valise diplomatique. Car, même si le Japon est un pays ancré dans la modernité, les fantômes y sont encore respectés et l’on ne pouvait utiliser l’espace de travail d’une morte tant qu’une cérémonie religieuse n’avait pas eu lieu. Et pour cela, il fallait attendre que le corps ait une sépulture décente.

 

Après l’appel de Sa Majesté à Son Excellence, Tokyo avait pris la main sur le suivi de l’enquête policière. Tous les rapports arrivaient directement à l’ambassade et les décisions étaient prises à Paris. Sans le vouloir, Pierre-Victor venait d’amorcer la bombe qui allait lui exploser à la figure.

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